Hommes et Femmes de Kabylie Sous la direction de Salem Chaker -Tome 1 16. BEN MOHAMED (BENHAMADOUCHE Mohamed, dit « Ben ») Poète de langue kabyle né le 10 mars 1944 à At -Ouacif, Tizi-Ouzou, Kabylie. Jusqu'en 1958, Ben Mohamed vit entre le village natal et Alger où son père travaille; c'est à cette date que sa famille s'installe dans la capitale et il aide son père qui tient un petit commerce, place de Chartres (actuelle place Amar El Kama). En 1956, il interrompt sa scolarité suite à la grève générale décrétée par le FLN. En 1963, il entame à la préfecture d'Alger une carrière de fonctionnaire qu'il poursuivra jusqu'en 1975. De 1963 à 1969, il s'inscrit aux cours du soir organisés par une école autogérée au sein de laquelle il est régulièrement élu comme trésorier, jusqu'à sa fermeture en 1969. De 1969 à 1971 et de 1973 à 1975, il suit diverses formations administratives dans les domaines de la gestion, de la comptabilité publique et de l'administration. En 1976, il est affecté à la Direction des finances du ministère de l'Education nationale où il exercera jusqu'à son départ en France, en juin' 1991. En France, il est employé comme gestionnaire dans le secteur du social. Lannée 1958 fut pour Ben Mohamed celle du départ définitif de Kabylie; il dit n'être plus jamais retourné dans son village pour plus de deux jours consécutifs, sans doute de peur de déranger l'image de la Kabylie de son enfance. C'est de cette Kabylie où s'est déroulée sa prime enfance qu'il garde l'image idyllique d'une société orga nisée dans la solidarité des réseaux ances traux, où dominait la sagesse et où les maîtres du sens exerçaient encore leur art du mot juste et de la parole ciselée. C'est avec émotion qu'il évoquel le souvenir inoubliable du premier récital auquel il a assisté en 1952, donné par Slimane Azem* dans ]. Lors d'un entretien à l'INALCO, en mars 1998. BEN MOHAMED 109 un café aux At-Ouacif. A cette occasion, son père lui avait acheté un petit fascicule comportant des textes du chanteur. Peutêtre était-ce là que se traçait le destin du poète, mis en contact coup sur coup, à l'âge de 8 ans, avec des chansons et leurs textes écrits; en fait avec ce qu'il n'allait plus jamais cesser d'exercer, faire se rencontrer dans la parabole, la parole et les mots : la poésie. Tout comme ne semble pas étranger à la naissance, puis à l'éveil de sa vocation, la rencontre en 1956 de cette dame réfugiée dans son village, après les bombardements massifs opérés sur la Kabylie, qui chantait avec une voix merveilleuse les affres de la guerre: un véritable journal chanté des « événements », dit d'elle Ben Mohamed qui ne quittait plus ses jupons. Cette série de rencontres précoces a sans doute dessiné un destin de poète ... La petite échoppe du père était située entre un bou quiniste et un disquaire. Le premier allait assouvir sa soif de lire et d'apprendre, et le second lui faire découvrir différents genres musicaux. Il ne manque alors que la visite des anges et la diligence des saints, chuchotant à l'oreille du poète leur autorisation de faire des isefta, pour achever de placer Ben Mohamed dans la lignée des aèdes libres de dire, comme Si Mohand*, Cheikh Mohand ou-Lhusin* et Slimane Azem*. La fréquentation assidue du disquaire allait faire découvrir à Ben Mohamed le déphasage entre la réalité des événements que vivait le pays et les textes plutôt légers des chansons, qu'il comprenait difficilement. Pour son plaisir personnel, il s'était mis à composer des textes en kabyle qu'il plaquait sur les mélodies qui lui plaisaient. Ce furent les premières productions poétiques de Ben Mohamed. Il chantait la fraternité et s'insurgeait contre la mort qui choisit toujours les meilleurs. En 1961, Cheikh Nourredine* lui proposa de se faire enregistrer à la radio. 110 HOMMES ET FEMMES DE KABYLIE Mais il n'a pas eu le courage de se présenter aux studios d'enregistrement le jour convenu car il cachait encore à ses parents son penchant pour la chanson, car « chez nous, chanter était un déshonneur », se rappelle-til encore aujourd'hui. En 1966, il participe comme chanteur amateur à l'émission de ChérifKheddam*, « Les chanteurs de demain ». Là, il s'entend à l'antenne et comprend définitivement que son organe vocal n'était pas tout à fait adapté à ce genre d'exercice. Le producteur de radio C'est en fait en 1967 que commence la longue carrière radiophonique de Ben Mohamed, qui débute avec sa participa tion à l'émission de la chaîne II, « Plumes à l'épreuve », dirigée par Saïd Hilmi*, sorte de forum des poètes. En 1969, il demande une émission en propre et on lui propose Heureux matin », « émission assurée jusque-là par ZoubirTaalibi et qui consistait en une litanie de plaisanteries insipides et de chansonnettes. Il s'agissait de combler un temps d'antenne et, surtout de percevoir un cachet! En prenant en charge cette émission, Ben Mohamed se rendait compte qu'entre deux chansons, on pouvait faire passer une foule d'idées. Il découvre également que le public avait une immense soif de culture, à laquelle il fallait répondre. Entre 1970 et 1971, il reprend « Plumes à l'épreuve », émission dans laquelle il avait fait ses premiers pas de producteur. Les poètes venaient eux-mêmes lire leurs textes, ou les envoyaient pour qu'ils soient lus à l'antenne. En 1972, il reprend l'émission du matin et anime en 1973 La revue culturelle ». En « 1974, il produit « Pages d'histoire » et reprend en 1975 « Les amateurs » dans laquelle il s'était essayé, sans s~ccès, à la chan son. En 1976, on lui contle Nuances », « une émission d'entretiens téléphoniques où il fait parler les auditeurs de leurs préoccupations, de leurs rêves. Dans « Chansons et société », en 1977, il proposait un travail pédagogique d'analyse et d'eXplication de textes de chansons. En 1980, l'émission « Rêveries» proposait une incursion de 1°à 12 minutes dans l'univers idéal d'un poète. En 1981, dans l'émission Souvenirs », Ben « Mohamed évoque les événements historiques que rappelle chaque date. En 1982/83, pour sa dernière émission à la radio kabyle, « Le pays des poètes », il donne lecture, en présence de poètes algériens plus ou moins connus, souvent ses amis, de ses propres traductions! de nombreux textes universaux, notamment ceux de Neruda, Aragon, Prévert, etc. En une quinzaine d'années de carrière radiophonique, Ben Mohamed s'est révélé comme l'un des plus grands animateurs de radio du pays. Il restera comme le moins conventionnel des producteurs de la Radio algérienne, tant au niveau de la langue utilisée, qui contrastait singulièrement avec celle employée par les autres animateurs, plus emphatique et, surtout, plus arabisée, que des thèmes traités. D'ailleurs, les multiples changements des titres de ses émissions témoignent de l'action permanente de la censure à l'égard du travail de Ben Mohamed. Chaque fois qu'une émission commençait à déranger, la censure s'abattait sur lui, au point de l'obliger à demander une autre émission, avec un autre titre, ceci quasiment tous les six mois. Mais c'est à la qualité de ses émissions, à l'écoute fidèle d'un large public que l'auteur avait réussi à captiver, mais peut-être surtout au fait qu'il utilisait habilement les idées progressistes officielles de l'époque, que Ben Mohamed doit de n'avoir jamais été remercié par la Radio algérienne; jusqu'en 1983, on lui 1. On aimerait voir publier ces traductions restées inédites. BEN MOHAMED 111 demandait seulement de changer d'émission, après une absence de un à deux mois. A l'exclusion des toutes premières émissions, l'ensemble de ces productions est nourri par la soif identitaire qu'il découvre grâce à son auditoire. En retour, il se sentait tenu de lui renvoyer les fruits de sa quête, cueillis dans les cours de berbère dispensés à l'université d'Alger par Mouloud Mammeri*, dans ses différentes lectures, ainsi que des informations recueillies grâce à son statut de « producteur berbériste ». Il y avait aussi tout cet environnement culturel contestataire qui s'exprimait dans des récitals de poésie animés notamment par les jeunes poètes, Djaout*, Tibouchi, Skif, Guemriche ... formés à l'école de Jean Sénac et de Kateb Yacine, la revue Souffle du Marocain Abdellatif Laabi (qui a révélé les Kheireddine, Nissabouri, Benjelloun, Driss Chraïbi, etc.), le théâtre amateur avec notamment la troupe de « Théâtre et culture » qui a lancé Slimane Ben-Aissa, Azzeddi ne Medjoubi, Abdelkrim Baba-Aïssa. Comme de nombreux producteurs de textes de l'époque, il a commencé par aborder les thèmes sociaux traditionnels. La thé matique identitaire n'apparaîtra dans les écrits et les interventions de Ben Mohamed qu'au début des années 70, sous l'action de plusieurs influences: celle du courrier des auditeurs, parfois copieux, suscité par ses émissions et qu'il recevait à la radio; celle des contacts directs qu'il avait avec le milieu de l' universi té d'Alger et celle de l' « Académie berbère », moins directe, mais qui était « dans l'air» et dont il dit les thèmes difficiles à assumer. En plus de cette activité radiophonique qui fut une expérience d'enrichissement muruel entre lui et son auditoire, Ben Mohamed a animé plusieurs galas artistiques avec lecture de ses propres poèmes (entre autres avec ChérifKheddam*, Idir*, Ait Manguellat*, Imazighen Imula*, etc.), ainsi que divers récitals de poésie en Algé rie et en France. Il a également créé six pièces radiophoniques pour la chaîne II de la radio algérienne. Il a parti ci pé à l'adaptation en kabyle des pièces de théâtre de Kateb Yacine, Mohamed prends ta valise! et La Kahina. On lui doit aussi l'adaptation en kabyle du texte d'un documentaire réalisé par Azzeddine Meddour* (1991) et il a contribué à la traduction des dialogues du film vidéo sur Ait-Menguellat*, réalisé par Mustapha Mengouchi (1990). Il a effectué un travail d'actualisation de textes anciens chantés par Khadidja* pom le film de Mohamed Ifticen*, Les rameaux defèu, et composé les textes chantés pour le film de Fawzi Sahraoui consacré à Issiakhem*. Si la radio kabyle a largement participé à l'éveil de la conscience identitaire, les animateurs et intervenants comme Ben Moha med y sont pour beaucoup. Dès ses premiers pas dans ce formidable instrument de communication, Ben Mohamed choisit de parler à sa mère, car, dit-il, elle ne parle aucune autre langue que le kabyle et cela l'obligeait à maintenir toute la pudeur et les règles de bienséance dues à cette auditrice idéale. Il en est résulté une langue peu néologique et peu portée vers l'emprunt, même aux autres parlers berbères, préférant la phrase ou la périphrase aux mots nouveaux. La poète Outre cette production radiophonique et/ou liée à la parole, on doit à Ben Mohamed une très importante production poétique qui en fait un auteur majeur de la littérature berbère d'expression kabyle. Ces textes très tôt acquis au combat identitaire -en fait dès les débuts des années 70 1. Avec la collaboration de Arezki Si Mohamed, Amar Mezdad et Saïd Sadi; mise en scène par Mohand AïtAhmed et jouée par la troupe de théâtre de la cité universitaire de Ben Aknoun, en 1973. 112 • HOMMES ET FEMMES DE KABYLIE restent des pièces d'une rare beauté et d'une émotion intense. Que de jeunes Kabyles n'ont pas été « pris aux tripes », et définiti vement sensibilisés, à la lecture et à l'écoute de ce qui paraît comme un texte fondateur, comme l'appel de la terre et la mère, YemmaI, écrit en février 1973. On lira ci-dessous, dans son intégralité, ce poème épique où l'enfant prend conscience de l'état de la mère, la terre et la langue, toutes trois confondues dans la situation qui leur est faite: déshonorées, bafouées, humiliées, dépecées, tout autant que spoliées. Peut-on rester muet et inerte devant tant d'affronts faits à la mère? Non; alors, l'enfant prend l'engagement de ne plus jamais se taire et de dire les mots qui tuent: Awal ineqqen ass-' a t-id-nini! Ecoutons ce texte, car dit par Ben Mohamed, il prend des accents de vérité définitive et d'absolue solennité: Yemma LLiy ttmeT.?ay d gma Mi T.?anfellam lberma Tàsa tegzem Amnar Yezzem Yekker Yizem Yenna : Yemma, Yemma! Yemma, Lliy tturarey tiddas Asmi dam-d-T.?an tilas Yezri wurar Yefii wemrar Yendeh wedrar Yenna : Yemma, Yemma! Yemma, Kerfey di tsuret itezmen Asmi dam-summen idammen Tàma:r.:r.agtteccur Ayeddid yeqqur Amunan itur Yenna : Yemma, Yemma! 1. J'en ai personnellement pris connaissance en août Yemma, Ksiy di te;.gi ifersen Asmi dam-cudden ifàssen Bçlant tmira [mi iberra Tekmec 1gedra Tenna : Yemma, Yemma! Yemma, Lliy aqerru-w di lqaa Asmi m-fkan abeqqa Ssiy yef webçlun Ttbib-iw d aldun Lqern n leqrun Yenna : Yemma, Yemma! Yemma, LLiy aqerru-w deg genni Mi kem-gezren t-tirni Tàadda tcallawt Tàsa tasellawt Tàaya di tmellawt Tenna : Yemma, Yemma! Yemma, UZa d nekkini AIlIl am kemmini yunzay taguni Awal ineqqen ass-' a t-id-nini! C'est en 1972 que débute une collaboration féconde entre le musicien Idir* (Hamid Cheriet) et le poète Ben Mohamed, quand ce dernier fit, sur une musique déjà composée par Idir, le texte deA baba inuba (sortie en 1973), à propos duquel Mouloud Mammeri dira sur la pochette du 45 tours, dans un texte à l'accent inaugural: c'est « ••• en vain que dehors la neige habite la nuit ». A baba inuba, qui fut repris dans plusieurs langues, est un succès qui n'a jamais été démenti, en même temps qu'il a été à l'origine du foisonnement de la chanson moderne kabyle dont la qualité n'a d'égal que l'engouement et l'enthousiasme de la jeunesse kabyle en faveur de sa langue. 1973, aux cours de berbère organisés pour et par les l~~é:ns d'At-Yanni dans les locaux de l'école publique, et dispensés par Ali Sayad, pendant les vacances d ete. BEN MOHAMED 113 En fait, le début des années 70 était tiche en interrogations. Les temps n'étaient plus à l'attente: le pays était indépendant depuis suffisamment longtemps et au lieu d'assister à la promotion de la langue et de la culture berbères, c'était leur mort qui était programmée. Alors que les étudiants kabyles arrivaient en masses à l'université d'Alger, la question du statut de la langue berbère commençait à se poser avec acuité. C'est dans ce contexte qu'ont émergé des créateurs comme Ben Mohamed. Il a évolué entre la radio kabyle, l'université d'Alger et le cours de Mouloud Mammeri, les lectures de Boulifa*, Si Muhend-u-Mhend*, Mouloud Mammeri*, Mouloud Féraoun*, Kateb Yacine, dans le bouillonnement des étu diants kabyles des cités universitaires de Ben Aknoun et, plus tard, de Kouba et d'El Harrach. Le poète a aussi baigné dans les riches expériences des théâtres contestataires d'Alger, comme « l'Action culturelle des tra vailleurs» ou« Le théâtre de la mer ». C'est également à cette époque que commen çaient à se créer les premiers cercles litté raires et poétiques autour de jeunes créateurs en toutes langues: Tahar Djaout*, Hamid Tibouchi, Hamid Skif. .. C'était également une époque où le livre était fortement subventionné en Algérie. Même si les Éditions Sociales et François Maspero tenaient le haut du pavé, il y avait un réel choix d'ouvrages chez Dominique, la librairie bien connue d'Alger, et on pouvait encore choisir ses lectures. C'est ainsi que Ben Mohamed put avoir accès à Balzac, Zola, Milan Kundera -qui l'a marqué -, Jacques Prévert, Yechir Kamal, Nazim Hikmet, Pablo Neruda, Garcia Lorca, Atahualpa Yupanki, Jean Amrouche*, Fouad Negm, Muddaffar Nouab, Adonis ... , mais aussi Boris Vian, ou Léo Ferré. Il participait également aux excursions organisées à peu près tous les dimanches par les étudiants kabyles de la cité univer sitaire de Ben Aknoun. Sous couvert de loi sirs, ces excursions en Kabylie (Akfadou, Yakouren, Tigejda ... ) permettaient de resserrer les liens entre les étudiants des diverses facultés, autour de Mouloud Mammeri* toujours présent; de faire connaître divers travaux de créations littéraires (poésie, théâtre, chansons) et de néologie. Ces excursions, qui étaient en fait des incursions dans le pays, la langue et la culture kabyles, se déroulaient dans une ambiance champêtre où l'on poussait la chanson!, la déclamation de poèmes, de textes littéraires et où l'on engageait les travaux futurs de néologie. Ces excursions constituaient en fait le complément pratique et ludique des cours de Mouloud Mammeri. C'est pour cela qu'il est permis de dire que la décennie soixante-dix est une période capitale pour l'histoire de la région et de la culture berbère: une langue et une culture ont été définitivement sauvées de la disparition planifiée, par les moyens de l'intelligence et de la production artistique. Au milieu de cette jeunesse engagée, l'image de Ben Mohamed apparaît comme l'une des plus authentiques, et sa voix comme l'une des plus représentatives. Ben Mohamed écrira la quasi-totalité des textes du premier album de Idir; certains des poèmes étaient déjà composés, les autres, comme Zwi-tt rwi-tt, cfir amzun d idelli, D izumal, étaient des commandes. Les thèmes abordés, tout en faisant une large part aux choses de la vie, à la fête, restent majoritairement liés à la revendication identitaire et linguistique berbère. Mais écrire en berbère, n'est-ce pas déjà revendiquer la langue à laquelle on fait rendre, 1. Avec Imazighen Imula, ChérifKheddam, Hamid Cheriet qui allait devenir Idir, Abderahman Si Ahmed et d'autres jeunes chanteurs, la chorale féminine de la cité de jeunes filles de Ben Aknoun ... 114 HOMMES ET FEMMES DE KABYLIE dans ses plus beaux accents, ses plus belles paraboles, dit Ben Mohamed. L'autre grande voix pour laquelle Ben Mohamed a écrit des textes est Nouara*, notamment pour l'album « La femme kabyle et ses problèmes» (1980). On peut y écouter Nouara, avec son émouvante voix pleine, demander dans Ssiy lmesba/;J que « l'on allume enfin une lampe pour elle, pour la voir au sortir du noir, que l'on rabatte sur elle l'habit pour que de froid, elle ne soit transie », ou alors le pathétique Gerger (<< Djudjura »). C'est d'une autre veine qu'est le « Amar Sersour chante Ben Mohamed »où l'artiste chante et dit les textes de Ben Mohamed dans un enregistrement plein de connivence avec l'auteur (1982) : c'est la Kabylie, son combat, dans sa profondeur historique, qui y sont mis en paroles et en musique. Ben Mohamed a également édité (1983; avec la contribution de Amar Sersour et Achour Fernane), sur cassette audio, un montage poétique, Yemma, où il dit lui même un certain nombre de ses textes. Des textes de Ben Mohamed ont été publiés dans un numéro de la revue Itinéraires et contact des cultures consacré à la littérature et à l'oralité au Maghreb. Y. Nacib a également publié des poèmes de Ben Mohamed dans son Anthologie de la poésie kabyle (1993). Une publication exhaustive des textes de Ben Mohamed avec des traductions fran çaises est actuellement en préparation parRamdane Achab. Le créateur engagé A côté de son activité radiophonique et de sa production poétique et littéraire, Ben Mohamed s'est également impliqué, à différents moments, dans le débat et l'engagement militant. Il a participé à la rédaction de la partie culturelle de la « contre-charte nationale» produite en 1976 par un groupe d'étudiants de l'université d'Algerl, demandant pour la première fois, à Alger, la reconnaissance de la langue berbère. Dans de nombreuses réunions à Alger et en Kabylie, le FLN, organisateur de ces débats, fut surpris et bousculé par les questions insistantes à propos de la langue berbère. Dans les rapports de synthèse, cette question fut évidemment totalement éva cuée et, dans son discours de clôture des débats, Boumediène opposa, pour la première fois de façon publique, une''fin de non-recevoir à cette revendication, pourtant largement exprimée2• Ben Mohamed est également membre fondateur, avec une vingtaine d'autres artistes et intellectuels3, d'une association culturelle berbère dont les statuts ont été déposés en 1981 mais qui n'a jamais été agréée4. Il est aussi membre fondateur de l'association culturelle et scientifique « Tala », créée à Alger en 1990; il a présidé, à Paris, l'association « La colline oubliée» fondée pour aider à la sortie du film réalisé par A. Bouguermouh* d'après le roman de Mouloud Mammeri. Ben Mohamed dit être venu à la poésie kabyle naturellement, par le désir qu'ont connu des générations d'adolescents, de devenir un jour chanteur. Puis l'accès à la radio l'a mis devant l'obligation de parler, et plutôt longuement, une langue qu'il est allé chercher dans l'écoute d'un auditeur idéalisé, représenté par sa propre mère. Et 1. Entre autres, Saïd Sadi, Mokhtar ~arbi, Salem Djebara, Rachid Tigziri ... 2. C'est, à notre connaissance, dans un de ces débats que le sigle MCB (Mouvement culturel berbère) a été utilisé pour la première fois. 3. Dont Mouloud Mammeri, Tahar Djaout, Kateb Yacine, Mhamed Issiakhem, Slimane Benaïssa ... 4. Le simple dépôt de ce dossier a valu à nombre des membres fondateurs la suspension de leur passeport. peut-on parler autrement que dans sa langue maternelle, à sa mère? La situation faite à la langue et la culture berbères dans l'Algérie indépendante a fait de lui un poète totalement impliqué dans le combat identitaire. Il aime à rappeler les enseignements d'une conférence donnée par le sociologue Duvignaud au début des années 70, à Alger, sur ['expérience du film consacré aux casseurs de pierres de Chebika : « Les artisans vivaient avec l'idée de partir du village, étant entendu que réussir, c'est réussir à partir. Le réalisateur a payé les artisans pour se faire filmer, ils ont marché, car ils avaient pris conscience de la valeur matérielle de ce qu'ils faisaient. Puis le film leur a été montré, alors tous vinrent présenter de nouveaux éléments, mais, cette fois, gratuitement. Ils avaient pris conscience des valeurs non vénales de leur culture et tenaient à participer, spontanément, à sa valorisation. » [5. HACHI] [Cette notice à été rédigée sur la base d'un cane vas biographique fourni par Ben Mohamed, et de son intervention en mars 1998 à l'INALCO dans le cadre du séminaire de D. Caubet consa cré à la création littéraire au Maghreb et d'un entretien avec lui en mars 1998.] BEN MOHAMED 115 BIBLIOGRAPHIE Textes chantés: -IDIR : « A vava inou va », Paris, Editions Pathé, 19731 Alger, Oasis disques (série internationale) (8 textes sur 12). -IDIR : « Ay arrac nney », Paris, Editions Azwaw, 1979 (1 texte: « Mul;1end-nney ») -NOUARA: « La fèmme kabyle et sesproblèmes », Editions Les artistes arabes associés, 1980. -Amal' SERSOURchante Ben Mohamed : Clu ay ixfiw, Paris, Editions betbères, 1982 (8 textes). -« YEMMA »), montage poétique sur cassette, Paris, Editions berbères, 1983. Textes publiés: -Dans diverses publications périodiques associatives berbères: Tisuraf, Tafsut... -Itinéraires et contacts des cultures, 15/16, 1992 (Université Paris-13), numéro spécial « Littérature et oralité au Maghreb », Paris, J:Harmattan.« Poèmes»: p. 171-183, texte et traduction des 8 poèmes chantés par A. Sersour; cf supra. -YoussefNAcIB : Anthologie de lapoésie kabyle, Alger, Editions Andalouses, Alger, 1993.